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LE VILLAGE DE MÔTIERS SOUS L'ANCIEN RÉGIME
la
Principauté de Neuchâtel
Empruntons
au professeur Philippe Henry (Impartial du 29 février 1996) ces
quelques mots pour situer le cadre dans lequel la Communauté villageoise
de Môtiers-Boveresse évolue à cette époque.
"Survécut
donc (en 1707, date du rattachement de Neuchâtel à la Prusse)
l'ensemble composite de coutumes et de pratiques régissant les
structures et l'exercice du pouvoir politique et de la vie administrative,
hérité des siècles passés et pour partie du Moyen-Age. Le constraste
est vif entre cet archaïsme - que l'on retrouve du reste dans
l'ensemble du vieillissant Corps helvétique, bientôt condamné
par la Révolution française - et le dynamisme, l'innovation, la
modernité qui caractérisent au contraire parallèlement le développement
économique et culturel du pays de Neuchâtel au XVIIIe siècle.
(...) Le centre du système politico-institutionnel neuchâtelois
était occupé par le Conseil d'Etat, devenu un véritable gouvernement,
contrôlé par le patriciat local. Le président du Conseil d'Etat,
le gouverneur, seul détenteur d'office à ne pas être neuchâtelois,
qui représentait la personne royale, avait en fait des fonctions
surtout représentatives. Son rôle, tout au long du siècle, était
d'autant moins important que la fonction devint une sinécure pour
anciens militaires prussiens et qu'il n'y eut plus d'obligation
de résidence à Neuchâtel dès 1769. (...) Le gouverneur n'était
pas un véritable obstacle à l'influence dominante des 46 familles
nobles que comptait le pays en 1806, dont 22 avaient été anoblies
au XVIIIe siècle. De ces familles du Bas provenait la vingtaine
de patriciens composant le Conseil d'Etat, se recrutant par un
système de cooptation de fait, avec la bénédiction du souverain.
(...) L'apparente toute-puissance de l'oligarchie maîtresse du
Conseil d'Etat, sous lointaine tutelle berlinoise, était localement
compensée par l'existence de "contre-pouvoirs", certes déclinants
au XVIIIe siècle, mais dont le gouvernement ne pouvait ignorer
l'existence; les communautés villageoises et les bourgeoisies,
sortes d'intermédiaires entre les sujets et l'Etat."
la
Communauté villageoise
La
commune de Môtiers en tant qu'entité politique reçoit au XIVe
siècle ses principaux droits et franchises. En 1513, pendant l'occupation
du canton de Neuchâtel par les cantons suisses, elle obtient à
titre perpétuel un moulin, raisse et bapteur sur la rivière de
l'Areuse. Puis en 1553, elle reçoit un second moulin, voisin du
premier, après avoir reçu le droit d'avoir un four banal. Pendant
la même époque, elle s'associe à la commune de Boveresse et reçoit
de nombreuses propriétés agricoles et forestières. Notons que
dans chaque cas, un cens était dû au souverain ou à son représentant
en échange de ces droits.
Dès
1600, la fortune de la commune est considérable. Elle possède
des fours, des moulins, une boucherie, une école et d'importantes
propriétés immobilières.
Elle
a ses routes et ses gardes, ses bergers, son ou ses guêts de nuit,
ses gardes-foires, chargés de maintenir l'ordre les jours de marchés.
Elle construit de nombreuses fontaines et veille à leur entretien.
Dès
1664, elle institue un Conseil général de 24 membres auquel elle
adjoint les deux gouverneurs et les quatre justiciers. Le Conseil
surveille l'administration des gouverneurs et de toutes les personnes
qui ont une fonction dans la commune : Les brevards, les messelliers
, les 4 forestiers, le fournier et les fonteniers.
En
1718, elle fait l'acquisition d'un poids public, engage un tambour
pour les avis officiels et a son "hôpital des pauvres".
Chaque
année, un habitant de la commune est chargé de donner l'hospitalité
aux voyageurs de passage et de les conduire aux limites de la
commune pour la suite de leur voyage. En échange, il recevait
pour ce service public de la paille, du bois et une gratification
en argent. Cette coutume avait également pour but de contrôler
les rôdeurs et les gueux, fréquents à l'époque.
A
partir de 1500, les communiers reçoivent du seigneur le droit
de se réunir pour s'exercer au maniement des armes dans deux sociétés
qui existent encore de nos jours, à savoir la Compagnie des Mousquetaires
de Môtiers et L'Abbaye de Môtiers dont Jean-Jacques Rousseau devint
membre en 1764.
En
1719, après l'incendie de Noiraigue, la commune adopte un règlement
concernant la police du feu. "Défense est faite de fumer tabac
et d'allumer pipes par les rues ny autre part que sous la cheminée."
Cela n'empêchera pas Môtiers d'être frappé par un terrible incendie
le 11 avril 1723 dont la pittoresque relation est portée aux actes
perpétuels de la commune. (lire la Relation de l'incendie de 1723 à Môtiers).
Les
étrangers à la commune n'avaient le droit de s'y établir que pour
une année et les autorités exerçaient un contrôle sévère de leur
moralité !
Les
ressortissants de la commune avaient droit à une partie des récoltes
et du bois poussant sur ses terres et les diviseurs, fonctionnaires
importants, avaient pour charge de fixer la part revenant à chacun.
Nous verrons plus loin que Charles-Auguste du Terraux recevra
gratuitement de la communauté une partie des pièces de bois pour
l'agrandissement de sa maison.
Les
familles qui habitaient le village en tant que communiers étaient
les suivantes en date du 1er janvier 1599 : De la Tour, Rossel,
Magnin, Bailliod, Girard, Verdonnet (dont un descendant posséda
la maison du Terraux), Radet, Girardier, Motta, Simon, Jeanrenaud,
Franel, Claire, DuBods ou DuBois (également ancêtre d'un propriétaire
de la maison du Terraux), Pettet, Garnachon, Boriod et d'Yvernois,
soit 18 familles pour 45 communiers mâles et adultes.
Essentiellement
agricole, le village compte tout de même quelques artisans et
"fonctionnaires" liés au caractère de chef-lieu régional. Cependant,
la population comportait une autre classe très distincte : celle
des citadins qui avait fait de Môtiers un endroit de villégiature
et dont la fortune s'était faite dans le commerce à l'étranger.
Quartier-la-Tente
cite le cas "des Baillods (depuis 1515), du Terraux (1650),
Girardier, d'Yvernois, Boy de la Tour, du Bois, de Chambrier,
etc.(...) Ces familles possédant maison au chef-lieu, y attiraient
en été des parents et amis qui doublaient presque le chiffre de
la population. Tout cela peut avoir contribué autrefois à donner
au môtisan beaucoup de civilité apparente et une défiance assez
marquée à l'égard de tout le monde."
Jean-Jacques
Rousseau, plus sévère que Quartier-la-Tente, en pense ce qui suit
"Le
pays, si l'on exepte la ville et les bords du lac, est aussi rude
que le reste de la Suisse, la vie y est aussi rustique et les
habitans accoutumés sous des Princes, s'y sont encore plus affectionnés
aux grandes manières ; de sorte qu'on trouve ici du jargon, des
airs, dans tous les états, de beaux parleurs labourant les champs,
et des courtisans en souquenille. Aussi les appelle-t-on les gascons
de la Suisse. Ils ont de l'esprit et ils se piquent de vivacité,
il lisent et la lecture leur profite ; les paysans même sont instruits
; ils ont presque tous un petit receuil de livres choisis qu'ils
appellent leur bibliothèque. (...)
Il
y a quelques temps qu'en me promenant je m'arrêtai devant une
maison où des filles faisaient de la dentelle ; la mère berçait
un petit enfant et je la regardais faire quand je vis sortir de
la cabane un gros paysan qui m'abordant d'un air aisé me dit :
"Vous voyez qu'on ne suit pas trop bien vos préceptes, mais nos
femmes tiennent autant aux vieux préjugés qu'elles aiment les
nouvelles modes". Je tombais des nues. J'ai entendu parmi ces
gens-là cent propos du même ton. Beaucoup d'esprit et encore plus
de prétention, mais sans aucun goût, voilà ce qui m'a d'abord
frappé chez les neuchâtelois."
Jean-Jacques Rousseau Première
lettre au Mareschal Duc de Luxembourg.
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